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Écrits de Frère Laurent

Nicolas Hermann, plus connu sous le nom de "Frère Laurent", vécut au 17ème siècle à Paris, comme religieux au sein d'un ordre contemplatif. Portier de son couvent, il aima Dieu en exerçant d'humbles besognes et pratiqua, dans la plus grande discrétion, la présence de Dieu. Ne sommes-nous pas, chacun(e), le temple du Saint-Esprit, en qui Dieu souhaite demeurer?

Le témoignage de cet homme simple invite à une chose essentielle: tout faire par amour de Dieu, par la force qu'il nous donne et avec une conscience éveillée de Sa présence en nous.

Voici une collection de lettres et de maximes spirituelles qui furent retranscrites par un contemporain de cet homme de Dieu à qui plusieurs personnes étaient venues demander conseil. On y trouve des indications pleines de bon sens, qui conduisent assurément à la paix du cœur pour qui décide de les pratiquer chaque jour. J'ai pris la liberté d'en rafraîchir quelque peu le vocabulaire et de réduire les formules langagières ampoulées de l'époque pour rendre le contenu plus accessible.


Maximes spirituelles

1. L'exercice de la présence de Dieu

La pratique la plus sainte, la plus commune et la plus nécessaire en la vie spirituelle est la présence de Dieu : c'est de se plaire et s'accoutumer en sa divine compagnie, parlant humblement et s'entretenant amoureusement avec lui en tout temps, à tous moments, sans règles ni mesure, surtout dans le temps des tentations, des peines, des aridités, des dégoûts et même des infidélités et des péchés.

La présence de Dieu est la vie et la nourriture de l'âme, qui se peut acquérir avec la grâce de Dieu. En voici les moyens :
Il faut une grande fidélité à la pratique de cette présence et au regard intérieur de Dieu en soi, qui se doit toujours faire doucement, humblement et amoureusement, sans se laisser aller à aucun trouble ou inquiétude.

Il faut prendre un soin particulier que ce regard intérieur, quoique d'un moment, précède vos actions extérieures, que de temps en temps il les accompagne, et que vous les finissiez toutes par là. Comme il faut du temps et beaucoup de travail pour acquérir cette pratique, aussi ne faut-il pas se décourager lorsqu'on y manque, puisque l'habitude ne se forme qu'avec peine ; mais lorsqu'elle sera formée, tout se fera avec plaisir.

N'est-il pas juste que le cœur…soit le premier et le dernier pour aimer et adorer Dieu, soit en commençant ou finissant nos actions spirituelles et corporelles, et généralement en tous les exercices de la vie ?

Il ne sera pas hors de propos, pour ceux qui commencent cette pratique, de former intérieurement quelques peu de paroles, comme : « Dieu d'amour, je vous aime de tout mon cœur » ; « Mon Dieu, me voici tout à vous : Seigneur, faites-moi selon votre cœur » ou quelques autres paroles que l'amour produit sur-le-champ.

Cette présence de Dieu, un peu pénible dans les commencements, pratiquée avec fidélité, opère secrètement en l'âme des effets merveilleux et y attire en abondance les grâces du Seigneur.
Je sais que pour cela, il faut que le cœur soit vide de toutes autres choses, Dieu le voulant posséder seul.

Il faut faire de notre cœur un temple spirituel pour Dieu où nous l'adorons sans cesse. Il faut veiller sans relâche sur nous-mêmes pour ne rien faire ni rien dire et ne rien penser qui lui puisse déplaire

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2. Un continuel entretien avec Dieu

Dieu ne nous demande pas grand chose: un petit souvenir de temps en temps, une petite adoration, tantôt lui demander sa grâce, quelque fois lui offrir nos peines, d'autre fois le remercier des grâces qu'il nous a faites et qu'il nous fait au milieu de vos travaux, nous consoler avec lui, le plus souvent même que nous pourrons. Pendant nos repas et nos entretiens, élevons quelquefois vers lui notre cœur : le moindre souvenir lui sera toujours fort agréable.
Il ne faut pas pour cela crier bien haut, il est plus près de nous que nous ne pensons. Il n'est pas nécessaire d'être toujours à l'église pour être avec Dieu ; nous pouvons faire de notre cœur un oratoire dans lequel nous nous retirons de temps en temps pour nous y entretenir avec lui, doucement, humblement et amoureusement.

Tout le monde est capable de ces entretiens familiers avec Dieu, les uns plus, les autres moins : il sait ce que nous pouvons. Commençons, peut-être n'attend-il de nous qu'une généreuse résolution…
Accoutumez-vous donc peu à peu à l'adorer de la sorte, à lui demander sa grâce, à lui offrir votre cœur de temps en temps pendant la journée, parmi vos ouvrages, à tout moment si vous le pouvez ; ne vous contraignez pas par des règles ou des dévotions particulières, faites-le en foi, avec amour et humilité.

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3. Au milieu de notre travail

Puisque vous n'ignorez pas que Dieu est présent devant vous pendant vos actions, qu'il est au fond et au centre de votre âme, pourquoi donc ne pas cesser au moins de temps en temps vos occupations extérieures, et même vos prières vocales, pour l'adorer intérieurement, le louer, lui demander, lui offrir votre cœur, et le remercier ?

Que peut-il y avoir de plus agréable à Dieu que de quitter ainsi, mille et mille fois le jour, toutes les créatures, pour se retirer et l'adorer en son intérieur …pour jouir un seul instant du Créateur ? Outre que c'est détruire l'amour-propre, qui ne peut subsister que parmi les créatures, dont ces retours intérieurs à Dieu nous débarrassent insensiblement !
Il faut s'appliquer continuellement à ce qu'indifféremment toutes nos actions soient une manière de petits entretiens avec Dieu, pourtant sans étude, mais comme ils viennent de la pureté et simplicité du cœur.

Tout consiste à renoncer une bonne fois à tout ce que nous reconnaissons ne point tendre à Dieu, pour nous accoutumer à une conversation continuelle avec lui, sans mystère ni finesse.
Il n'y a qu'à reconnaître Dieu intimement présent en nous, à nous adresser à tous moments à lui, pour lui demander son secours, pour connaître sa volonté dans les choses douteuses et pour bien faire celles que nous voyons clairement qu'il demande de nous, les lui offrant avant que de les faire et lui rendant grâces de les avoir faites pour lui après l'action. Dans cette conversation continuelle, on est aussi occupé à louer, adorer et aimer incessamment Dieu pour ses infinies bontés et perfections.

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4. L'abandon

Je choisis de n'avoir pas d'autre volonté que celle de Dieu, que je tâche d'accomplir en toutes choses et à laquelle je suis si soumis que je ne voudrais pas lever une paille de terre contre son ordre ni par un autre motif que son pur amour.

Je ne m'occupe plus qu'à me tenir toujours en sa sainte présence, en laquelle je me tiens par une simple attention et un regard général et amoureux en Dieu, que je pourrais nommer présence de Dieu actuelle, ou pour mieux dire un entretien muet et secret de l'âme avec Dieu qui ne passe quasi plus.
La confiance que nous avons en Dieu l'honore beaucoup et nous attire de grandes grâces.

Il faut se donner entièrement et en pur abandon à Dieu, pour le temporel et pour le spirituel, et prendre son contentement dans l'exécution de sa volonté, soit qu'Il nous conduise par les souffrances ou par les consolations ; tout doit être égal à celui qui est vraiment abandonné !
Il faut de la fidélité dans les aridités par où Dieu éprouve notre amour pour lui. C'est là où nous faisons les bons actes de résignation et d'abandon, dont un seul fait souvent faire beaucoup de chemin.

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5. Persévérance

Lorsque l'esprit a contracté quelques méchantes habitudes d'égarement et de dissipation, elles sont difficiles à vaincre et ordinairement elles nous entraînent malgré nous aux choses de la terre. Je crois qu'un remède à cela est d'avouer nos fautes et de nous humilier devant Dieu.
A force de réitérer ces actes, ils nous deviennent plu familiers, et la présence de Dieu devient comme naturelle.
Il faut dans le commencement un peu d'application pour se former l'habitude de converser continuellement avec Dieu et lui rapporter tout ce que l'on fait ; mais après un peu de soin, on se sent réveillé par son amour sans aucune peine.

Il ne faut point se lasser de faire de petites choses pour l'amour de Dieu, qui regarde non la grandeur de l'œuvre mais l'amour. Il ne faut pas s'étonner d'y manquer souvent dans le commencement : à la fin l'habitude vient, qui nous fait produire nos actes sans y penser et avec un plaisir admirable.

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6. Confiance en la miséricorde divine

Je me regarde comme le plus misérable de tous les hommes, et qui a commis toutes sortes de crimes contre son Roi. Touché d'un sensible regret, je lui déclare toutes mes malices ; je lui en demande pardon, je m'abandonne entre ses mains pour faire de moi ce qu'il lui plaira. Ce Roi plein de bonté et de miséricorde, bien loin de me châtier, m'embrasse amoureusement, me fait manger à sa table, me sert de ses propres mains, me donne les clefs de ses trésors et me traite en tout comme son favori ; il s'entretient et se plaît sans cesse avec moi en mille et mille manières, sans parler de mon pardon ni m'ôter mes premières habitudes. Quoique je le prie de me faire selon son cœur je me vois toujours plus faible et plus misérable, cependant plus caressé de Dieu.
Quand nous ferions toutes les pénitences possibles, si elles sont séparées de l'amour, elles ne servent pas à effacer un seul péché ! Il faut, sans s'inquiéter, en attendre la rémission du sang de Jésus-Christ, en travaillant seulement à l'aimer de tout son cœur.

Dieu semble choisir ceux qui ont été les plus grands pécheurs pour leur faire ses plus grandes grâces plutôt qu'à ceux qui sont demeurés dans l'innocence, parce que cela montre davantage sa bonté.
Je suis rempli de honte et de confusion quand je réfléchis, d'un côté sur les grandes grâces que Dieu m'a faites et qu'il continue sans cesse de me faire, et de l'autre sur le mauvais usage que j'en ai fait, et sur mon peu de profit dans le chemin de la perfection. Puisque par sa miséricorde il nous donne encore un peu de temps, commençons tout de bon. Réparons le temps perdu. Retournons avec une entière confiance à ce Père de bonté, qui est toujours prêt à nous recevoir amoureusement. Renonçons généreusement pour son amour à tout ce qui n'est point lui, il en mérite infiniment davantage.
Pensons à lui sans cesse. Mettons en lui toute notre confiance, je ne doute pas que nous en expérimentions bientôt les effets et que nous ne ressentions l'abondance de ses grâces, avec lesquelles nous pouvons tout et sans lesquelles nous ne pouvons que le péché. Nous ne pouvons éviter les dangers et les écueils dont la vie est pleine, sans un secours actuel et continuel de Dieu ; demandons-le-lui continuellement.

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7. La présence de Dieu

La présence de Dieu, c'est à mon sentiment en quoi consiste toute la vie spirituelle et il me semble qu'en la pratiquant comme il faut, on devient spirituel en peu de temps ... Il n'y a pas au monde de manière plus douce ni délicieuse que la conversation continuelle avec Dieu ; ceux-là seuls la peuvent comprendre qui la pratiquent et qui la goûtent.
Cette conversation avec Dieu se fait au fond et au centre de l'âme. C'est là que l'âme parle à Dieu cœur à cœur, et toujours dans une grande et profonde paix dont l'âme jouit en Dieu : tout ce qui se passe au-dehors n'est à l'âme que comme un feu de paille qui s'éteint à mesure qu'il s'allume, et il n'arrive quasi jamais ou fort peu à troubler sa paix intérieure.

L'âme accoutumée à la pratique de la foi, par un simple souvenir voit et sent Dieu présent, elle l'invoque facilement, efficacement, et obtient ce dont elle a besoin.
Étant toujours avec Dieu qui est un feu consumant, il réduit en poudre ce qui lui peut être opposé. Et cette âme ainsi embrasée ne peut plus vivre qu'en la présence de son Dieu, présence qui produit dans son cœur une sainte ardeur, un empressement sacré et un désir violent de voir ce Dieu aimé, connu, servi et adoré de toutes les créatures.

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8. Foi et don de Dieu

Dieu a des trésors infinis à nous donner ; et une petite dévotion sensible, qui passe en un moment, nous satisfait ... Que nous sommes aveugles, puisque par là nous lions les mains à Dieu et nous arrêtons l'abondance de ses grâces.
Mais lorsqu'il trouve une âme pénétrée d'une foi vive, il lui verse des grâces en abondance. C'est un torrent arrêté par force contre son cours ordinaire qui, ayant trouvé une issue, se répand avec impétuosité et avec abondance. Oui, souvent nous l'arrêtons, ce torrent, par le peu d'estime que nous en faisons…Rentrons en nous-mêmes, rompons cette digue, faisons jour à la grâce.
Il faut nourrir son âme d'une haute idée de Dieu, et de là nous tirerons une grande joie d'être à lui.
Que nous serions heureux si nous pouvions trouver le trésor dont parle l'Évangile ; tout le reste ne nous paraîtrait rien. Comme il est infini, plus on y fouille, plus on y trouve de richesses. Occupons-nous sans cesse à le chercher, ne nous lassons pas jusqu'à ce que nous l'ayons trouvé…
Que pourrais-je craindre quand je suis avec Dieu ?

Tous les beaux discours que j'entends faire de Dieu, ce que j'en peux lire moi-même ou ce que j'en peux sentir ne me saurait me contenter car, étant infini dans ses perfections, il est par conséquent ineffable et il n'y a point de termes assez énergiques pour me donner une idée parfaite de sa grandeur. C'est la foi qui me le découvre et qui me le fait connaître tel qu'il est.
Lui seul est capable de se faire connaître tel qu'il est. Nous cherchons, dans le raisonnement et dans les sciences, comme dans une mauvaise copie ce que nous négligeons de voir dans un excellent original. Dieu lui-même se peint au fond de notre âme, et nous ne voulons pas l'y voir…

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9. Prière silencieuse

Au commencement de mes occupations, je dis à Dieu avec une confiance filiale : « Mon Dieu, puisque vous êtes avec moi, et que par votre ordre je dois appliquer mon esprit à ces choses extérieures, je vous prie de me faire la grâce de demeurer avec vous et de me tenir compagnie, mais afin que cela soit mieux, mon Seigneur, travaillez avec moi, recevez mes œuvres et possédez toutes mes affections.

A la fin de l'action, j'examine de quelle manière je l'ai faite, si j'y ai trouvé du bien, j'en remercie Dieu ; si j'y remarque des fautes, je lui en demande pardon, et sans me décourager, je rectifie mon esprit et recommence à demeurer avec Dieu comme si je ne m'en fusse point écarté.
Ainsi, me relevant après mes chutes, et par la multiplicité des actes de foi et d'amour, je suis venu à un état où il me serait aussi peu possible de ne point penser à Dieu qu'il m'a été difficile de m'y accoutumer au commencement.

Ma manière de prier la plus habituelle est cette simple attention et ce regard général et amoureux en Dieu… Pour ce qui est de mes heures d'oraison, elles ne sont plus qu'une continuation de ce même exercice. Quelquefois je m'y considère comme une pierre devant un sculpteur de laquelle il veut faire une statue ; me présentant ainsi devant Dieu je le prie de former en mon âme sa parfaite image et de me rendre entièrement semblable à lui.

Je me tiens retiré avec lui au fond et centre de mon âme autant que je peux…
Il est nécessaire de mettre toute sa confiance en Dieu, de se défaire de tous autres soins, même de quantités de dévotions particulières, quoique très bonnes, mais dont on se charge souvent mal à propos, puisqu'enfin, ces dévotions ne sont que des moyens pour arriver à la fin.

Ainsi, lorsque par cet exercice de la présence de Dieu, nous sommes avec celui qui est notre fin, il nous est inutile de retourner aux moyens, mais nous pouvons continuer avec lui notre commerce d'amour, demeurant en sa sainte présence, tantôt par un acte d'adoration, de louange, de désir, tantôt par un acte d'offrande, d'action de grâces, et en toutes les manières que notre esprit pourra inventer.

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10. Dans l'épreuve

Je voudrais que vous puissiez vous persuader que Dieu est souvent plus près de nous dans le temps des maladies et des infirmités que lorsque nous jouissons d'une parfaite santé. Mettez toute votre confiance en lui.
Si nous étions bien habitués dans l'exercice de la présence de Dieu, toutes les maladies du corps nous en seraient légères.
Souvent Dieu permet que nous souffrions un peu pour purifier notre âme et nous obliger de demeurer avec lui.

Prenez courage, offrez-lui sans cesse vos peines, demandez-lui des forces pour les souffrir, surtout accoutumez-vous à vous entretenir souvent avec lui et ne l'oubliez que le moins que vous le pourrez. Adorez-le dans vos infirmités, offrez-les-lui de temps en temps, et, dans le plus fort de vos douleurs, demandez-lui, humblement et amoureusement, comme un enfant à son bon père, la conformité à sa sainte volonté et le secours de sa grâce.
Nous devons recourir à Dieu avec une entière confiance dans l'occasion du combat, demeurer fermes en la présence de sa divine Majesté, l'adorer humblement, lui représenter nos misères et nos faiblesses, lui demander amoureusement les secours de sa grâce. Et nous nous trouverons par là en lui toutes les vertus sans n'en avoir aucune.
Ah ! si nous savions la nécessité que nous avons des grâces et des secours de Dieu, nous ne le perdrions jamais de vue, pas même pour un moment.

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11. Une vie épanouie

Ce qui me console en cette vie est que je vois Dieu par la foi. Et je le vois d'une manière qui pourrait me faire dire quelquefois : « je ne crois plus, mais je vois, j'expérimente ce que la foi nous enseigne. » Et sur cette assurance et cette pratique de la foi, je vivrai et mourrai avec lui.

Qu'il est bon de se trouver toujours près de Dieu, à le louer et à le bénir de toutes ses forces, à passer sa vie dans une continuelle joie.
Par la présence de Dieu et par ce regard intérieur, l'âme se familiarise avec Dieu de telle manière qu'elle passe presque toute sa vie en des actes continuels d'amour, d'adoration, de contrition, de confiance, d'action de grâces, d'offrande, de demande et des vertus les plus excellentes.

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12. Adorer Dieu en esprit et vérité

Adorer Dieu en esprit et vérité, cela veut dire adorer Dieu comme nous le devons adorer, c'est à dire par une humble et véritable adoration d'esprit dans le fond et au centre de notre âme.
Il n'y a que Dieu qui puisse voir cette adoration que nous pouvons réitérer si souvent, qu'à la fin, elle nous deviendra comme naturelle et comme si Dieu était un avec notre âme et que notre âme fût une avec Dieu : la pratique le fait voir.

Adorer Dieu en vérité, c'est le reconnaître pour ce qu'il est, et nous reconnaître pour ce que nous sommes.
Adorer Dieu en vérité, c'est reconnaître véritablement, actuellement et en esprit, que Dieu est ce qu'il est, c'est à dire infiniment parfait, infiniment adorable, infiniment éloigné du mal, et ainsi de tous les attributs divins. Qui sera l'homme, pour peu de raison qu'il ait, qui n'emploiera pas touts ses forces à rendre tous ses respects et ses adorations à ce grand Dieu ?

Adorer Dieu en vérité, c'est encore avouer que nous lui sommes entièrement contraires et qu'il veut bien nous rendre semblables à lui, si nous le voulons.

Il faut que tout le monde avoue que Dieu est incompréhensible et que, pour s'unir à lui, il faut priver la volonté de toutes sortes de goûts et de plaisirs spirituels et corporels, afin que, étant ainsi dégagée de la chair, elle puisse aimer Dieu sur toutes choses.
Car si la volonté peut en quelque façon comprendre Dieu, ce ne peut être que par l'amour.

Si vous voulez faire un grand progrès dans la vie de l'esprit, ne prenez point garde aux belles paroles ni aux subtils discours des savants de la terre. C'est le Créateur qui enseigne la vérité, qui instruit en un moment le cœur des humbles et qui lui fait comprendre plus de choses sur les mystères de notre foi, et sur la Divinité même, que s'il les avait méditées pendant une longue suite d'années.

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Lettres

1. Vivre en présence de Dieu

La présence de Dieu est un sujet qui, dans mon opinion, renferme toute la vie spirituelle, et il me semble que quiconque pratiquera assidûment cette présence de Dieu deviendra bientôt spirituel.
Je sais que pour bien la pratiquer, le cœur doit être vide de toute autre chose, parce que Dieu veut posséder notre cœur seul. De même qu'il ne peut le posséder seul que si nous le vidons de tout ce qui n'est pas lui, de même aussi il ne peut agir et faire ce qu'il voudrait que si la place est laissée vacante pour lui.

Il n'y a pas au monde de vie plus douce et plus délicieuse qu'une vie de conversation continuelle avec Dieu : ceux-là seuls la comprennent, qui la pratiquent et en font l'expérience. Néanmoins, je ne vous conseille pas de la choisir pour ce motif. Ce n'est pas le plaisir que nous devons chercher, dans cet exercice; nous devons le faire par un principe d'amour et parce que Dieu désire nous avoir.
Si j'étais prédicateur, je prêcherais, par-dessus, tout, la pratique de la présence de Dieu; et si j'étais directeur, je la conseillerais à tout le monde, tant je la crois nécessaire et en même temps facile.

Ah ! Si nous savions combien nous avons besoin de la grâce et de l'assistance de Dieu, nous ne le perdrions jamais de vue pas même pour un instant.
Croyez-moi prenez immédiatement une sainte et ferme résolution de ne jamais oublier Dieu volontairement, et de passer le reste de vos jours dans sa sainte présence, dépouillé, pour l'amour de lui, s'il le juge bon, de toute consolation. Mettez-vous à l'œuvre de tout votre cœur, et si vous le faites comme vous le devez, soyez assuré que vous en recevrez bientôt les effets.

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2. Apprendre à vaincre la chair

Je ne puis me représenter comment des personnes religieuses peuvent vivre satisfaites, sans la pratique de la présence de Dieu.
Pour ma part, je vis retiré avec lui dans le fond et le centre de mon âme autant que je le peux; et tandis que je suis ainsi avec lui, je ne crains rien ; mais le moindre écart loin de lui m'est insupportable.

Cet exercice ne fatigue pas beaucoup le corps. Il est cependant bon de le priver quelquefois, même souvent, de tant de petits plaisirs, innocents, et légitimes en eux-mêmes, car Dieu ne permettra pas qu'une âme qui veut lui être entièrement consacrée trouve d'autres plaisirs qu'en lui; cela est plus que raisonnable.
Je ne veux pas dire pour cela que nous devions nous imposer une violente contrainte. Non, nous devons servir Dieu dans une sainte liberté, nous devons faire notre travail fidèlement, sans trouble ni inquiétude, ramenant doucement et tranquillement notre esprit à Dieu, quand nous la surprenons errant loin de lui.

Il est cependant nécessaire de mettre notre entière confiance en Dieu et de nous défaire de tous soucis.
Ne soyez pas découragé par la répugnance que vous pouvez rencontrer dans la chair; vous devez vous faire violence à vous-même. Au premier abord on pense souvent que c'est du temps perdu; mais vous devez continuer et être bien résolu à persévérer dans ces choses jusqu'à la mort, malgré toutes les difficultés qui peuvent surgir.

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3. Adorer Dieu toujours et partout

Puissiez-vous passer le reste de votre vie dans l'adoration de Dieu.
Il ne demande pas de grandes choses de nous, simplement que vous vous souveniez de lui, que vous l'adoriez, que vous lui adressiez une prière pour obtenir sa grâce, que vous lui rendiez grâces pour les faveurs qu'il vous a faites et qu'il vous fait encore au milieu de vos troubles, que vous vous consoliez enfin auprès de lui aussi souvent que vous le pouvez.
Elevez votre cœur vers lui, même pendant vos repas et quand vous êtes en compagnie. Vous n'avez pas besoin de crier bien fort; il est plus près de nous que nous ne le pensons, ce n'est pas nécessaire d'être toujours à l'église pour être avec Dieu.
Nous pouvons faire de notre cœur un oratoire dans lequel nous nous retirons pour nous entretenir avec lui dans la soumission, l'humilité et l'amour.

Tout le monde peut avoir ces entretiens familiers avec Dieu, les uns plus, les autres moins; il sait ce dont nous sommes capables.
Commençons donc. Peut-être qu'il n'attend qu'une bonne résolution de notre part. Prenons courage. Nous n'avons que peu de temps à vivre encore, vous avez bientôt soixante-quatre ans et j'en ai presque quatre-vingt. Vivons et mourons avec Dieu. Les souffrances nous seront douces et agréables si nous sommes avec lui, tandis que les plus grands plaisirs sans LUI seraient pour nous un cruel châtiment. Qu'il soit béni pour tout! Amen.
Habituez-vous ainsi peu à peu à l'adorer, à lui demander sa grâce, à lui offrir votre cœur de temps en temps au milieu de vos occupations et même à tout moment, si vous le pouvez.
Vivez dans la confiance en Dieu et agissez avec amour et humilité.

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4. A propos des distractions

Vous n'êtes pas le seul à être distrait dans vos prières par vos pensées.
Notre esprit est extrêmement vagabond; mais comme la volonté est la maîtresse de toutes nos facultés, elle doit les rappeler et les ramener à Dieu comme leur dernière fin.
Quand notre esprit, faute d'avoir été suffisamment discipliné par le recueillement dans les premiers temps de notre vie en Dieu, a contracté certaines mauvaises habitudes de distraction et de dissipation, il est très difficile de les vaincre, et ordinairement elles nous entraînent, même contre notre volonté vers les choses de la terre.

Je crois qu'un remède à cela est de confesser nos fautes et de nous humilier devant Dieu.
Je ne vous conseille pas d'user d'une grande multiplicité de paroles dans vos prières, beaucoup de paroles et de longs discours étant souvent une occasion de distraction.
Tenez-vous en prière devant Dieu, comme un mendiant muet et paralytique devant la porte d'un riche.
Que votre premier soin soit de maintenir votre esprit en la présence du Seigneur. Si parfois votre esprit erre et s'égare loin de lui, ne vous en faites pas trop de soucis, le trouble et l'inquiétude ne servent qu'à distraire l'esprit plutôt qu'à le recueillir; la volonté doit simplement le ramener à Dieu, et si vous persévérez ainsi, Dieu aura pitié de vous.

Un sûr moyen d'avoir, au temps de la prière, un esprit tranquille et recueilli, est de ne pas le laisser errer à l'aventure en tout temps; vous devriez le garder toujours strictement en la présence de Dieu.
Alors, accoutumé à penser à lui souvent, vous trouverez facile de garder votre esprit calme au moment de la prière, ou du moins de le rappeler, s'il se dissipe.

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5. Du bon usage de son temps

Rappelons-nous que notre seul devoir dans cette vie est de plaire à Dieu, et qu'en dehors de cela tout n'est que folie et vanité.
Avons-nous employé notre temps à aimer et à servir Dieu, qui nous a appelés pour cette fin?
Je suis rempli de honte et de confusion, quand je réfléchis d'une part aux grandes faveurs que Dieu m'a faites et continue à me faire, d'autre part au mauvais usage que j'en ai fait et à mon peu d'avancement dans la perfection.

Puisque, dans sa miséricorde, il nous donne encore un peu de temps, mettons-nous sincèrement à l'œuvre, rachetons le temps perdu, retournons avec une pleine assurance à ce Père des miséricordes qui est toujours prêt à nous recevoir avec affection. Renonçons, renonçons généreusement, par amour pour lui, à tout ce qui n'est pas lui; il est digne d'infiniment plus.

Pensons à lui constamment.
Mettons toute notre confiance en lui.
Je ne doute pas que nous n'en ayons bientôt les effets en recevant l'abondance de sa grâce, par laquelle nous pouvons tout et sans laquelle nous ne pouvons rien que pécher.
Nous ne pouvons échapper aux dangers qui abondent dans la vie, sans le secours actuel et constant de Dieu; demandons le donc constamment.

Comment pouvons-nous le prier sans être avec lui ? Et comment pouvons-nous être avec lui sans penser à lui souvent. Et comment pouvons-nous penser à lui souvent si ce n'est en formant une sainte habitude?

Vous me direz que je répète toujours la même chose. C'est vrai, car c'est la méthode la meilleure et la plus facile que je connaisse; et, comme je n'en emploie pas d'autres, je la conseille à tout le monde.
Nous devons connaître avant de pouvoir aimer. Pour connaître Dieu, nous devons souvent penser à lui et quand nous l'aimerons, nous penserons aussi à lui souvent, car notre cœur sera là où est notre trésor.

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6. Dieu à la première place

Nous devons aimer nos amis, mais sans empiéter sur l'amour pour Dieu, qui doit occuper la première place.

Rappelez-vous, je vous prie, ce que je vous ai recommandé, c'est-à-dire de penser souvent à Dieu, de jour, de nuit, dans vos occupations et même dans vos moments de délassement.
Il est toujours près de vous et avec vous. Ne le laissez pas seul. Vous n'oseriez pas laisser seul un ami qui viendrait vous visiter : alors, pourquoi Dieu devrait-il être négligé? Ne L'oubliez donc pas, mais pensez à lui souvent, adorez-le continuellement vivez et mourez pour lui.

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7. Dans la maladie

Je ne prie pas pour que vous soyez délivré de la maladie et de vos souffrances mais je prie Dieu sincèrement qu'il vous donne la force et la patience pour les supporter aussi longtemps qu'il lui plaira.
Fortifiez-vous en Celui qui vous tient lié à la Croix. Il vous déliera quand il le jugera bon. Heureux ceux qui souffrent avec lui! Accoutumez-vous à souffrir de cette manière, et cherchez en lui la force d'endurer autant et aussi longtemps qu'il le jugera nécessaire pour vous.

Les gens du monde ne comprennent pas ces vérités et on ne peut s'en étonner, car ils souffrent comme des mondains et non comme des chrétiens. Ils considèrent la maladie comme une souffrance pour la chair et non comme une faveur de Dieu; et ne la voyant qu'à cette lumière, ils n'y trouvent rien que chagrin et détresse.
Mais ceux qui reçoivent la maladie de la main de Dieu et la considèrent comme l'effet de sa miséricorde et le moyen qu'il emploie pour leur salut, ceux-là y trouvent ordinairement une grande douceur et une réelle consolation.

J'aimerais que vous puissiez vous convaincre que Dieu est souvent (dans un certain sens) plus près de nous, et plus réellement présent avec nous, dans la maladie que dans la santé. Ne comptez sur aucun autre médecin, car, selon moi, il se réserve de vous guérir lui-même. Mettez donc toute votre confiance en lui et vous recevrez bientôt les effets dans votre guérison, guérison que nous retardons souvent, en mettant plus de confiance dans les remèdes qu'en Dieu.
Quelques remèdes que vous preniez, ils n'agiront que dans la mesure où il le permettra.

Quand la souffrance vient de Dieu, lui seul peut la guérir. Il envoie souvent les maladies du corps pour nous sauver de celles de l'âme. Consolez-vous dans le souverain médecin de l'âme et du corps. Soyez content de la condition dans laquelle Dieu vous place. Persévérez donc toujours avec Dieu : c'est le seul secours et la seule consolation pour votre affliction.

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8. Placer sa foi en Dieu

Si nous étions mieux accoutumés à pratiquer la présence de Dieu, toute maladie corporelle serait par-là beaucoup adoucie.
Dieu permet souvent que nous souffrions un peu pour purifier nos âmes et nous obliger à persévérer avec lui.
Prenez courage, offrez-lui constamment vos douleurs, demandez-lui la force de les endurer.

Surtout, prenez l'habitude de vous entretenir souvent avec Dieu et de l'oublier le moins possible.
Adorez-le dans vos infirmités, offrez-vous vous-même à lui de temps en temps; et, au fort de vos souffrances, suppliez-le humblement et affectueusement comme un enfant à son père, de vous rendre conforme à sa sainte volonté.
D.eu a bien des manières de nous attirer à lui.

Quelquefois, il se cache de nous; mais la foi seule qui ne nous fera pas défaut au moment du besoin doit être notre soutien et le fondement de notre confiance, laquelle doit être toute en Dieu.
Je ne sais pas comment Dieu en disposera avec moi: je suis toujours heureux.

Le monde entier souffre; et moi, qui mérite la plus sévère discipline, j'éprouve une joie si continuelle et si grande que je puis à peine la contenir.
Si Dieu me laissait un instant à moi-même, je serais le plus misérable des hommes. Et cependant, je ne vois pas comment Dieu pourrait me laisser, car la foi me donne la conviction qu'il ne nous abandonne jamais, tant que nous ne l'avons pas abandonné les premiers.
Craignons de le quitter. Soyons toujours avec lui. Vivons et mourons en sa présence.

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9. Faire de nécessité vertu

Je suis en peine de vous voir souffrir si longtemps; ce qui me soulage et adoucit les sentiments que j'éprouve au sujet de vos douleurs, c'est qu'elles sont une preuve de l'amour de Dieu pour vous. Considérez-les à ce point de vue et vous les supporterez plus facilement.

Puisque, malgré tous vos soins la médecine s'est montrée impuissante et que votre maladie s'aggrave encore, ce ne sera pas tenter Dieu que de vous abandonner entièrement entre ses mains et d'attendre tout de lui.

Je vous ai dit, dans ma dernière lettre, qu'il permet quelquefois les maladies du corps pour guérir celles de l'âme.
Ayez donc bon courage. Faites de nécessité vertu. Demandez à Dieu, non la délivrance de vos douleurs, mais la force pour supporter résolument pour l'amour de lui tout ce qu'il lui plaira.
De telles prières sont, il est vrai, dures à la chair mais d'autant plus agréables à Dieu et douces pour celui qui l'aime.

L'amour adoucit la peine; et quand on aime Dieu, on souffre pour l'amour de LUI avec joie et courage.
Qu'il en soit ainsi pour vous je vous en supplie. Consolez-vous auprès de lui, qui est le médecin de toutes nos maladies. Il est le Père des affligés toujours prêt à secourir. Il nous aime infiniment plus que nous ne pensons: aimons-le donc, et ne cherchez pas la consolation ailleurs. J'espère que vous la recevrez bientôt.

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10. Frappez et on vous ouvrira

J'ai été souvent près de la mort, mais je n'ai jamais été aussi heureux qu'alors. Aussi n'ai-je pas prié pour du soulagement, mais pour avoir la force de souffrir avec courage, humilité et amour.

Quelques grandes que puissent être vos souffrances, recevez-les avec amour.
Si nous voulons jouir de la paix du paradis dans cette vie, il nous faut nous accoutumer à une conversation familière, humble et affectueuse avec lui.

Nous devons retenir nos esprits d'errer loin de lui en toute occasion, faire de nos cœurs un temple spirituel où nous l'adorions continuellement, veiller constamment sur nous-mêmes, afin de ne rien faire ou dire ou penser qui puisse lui déplaire.
Quand nos esprits sont ainsi occupés de Dieu, la souffrance devient pleine d'onction et de consolation.

Je sais que pour arriver à cet état, le commencement est très difficile ; car nous devons agir purement par la foi.
Mais nous savons aussi que nous pouvons toutes choses par la grâce de Dieu, que Dieu ne refuse jamais à ceux qui la demandent sincèrement.

Frappez, persévérez à frapper. Je me fais garant qu'il ouvrira au temps convenable et vous accordera en une fois ce qu'il a différé de vous donner pendant des années.

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11. Connaître Dieu et le reconnaître

Dieu sait mieux que nous ce qui nous est bon, et tout ce qu'il fait est pour notre bien.
Si nous savions combien il nous aime, nous serions toujours prêts à recevoir de lui également le doux et l'amer: tout ce qui vient de lui nous plairait.

Les plus douloureuses afflictions ne nous paraissent intolérables que lorsque nous les voyons à une fausse lumière. Quand nous les verrons dans la main de Dieu qui les dispense, quand nous saurons que c'est notre Père qui nous aime, qui nous humilie et nous met dans la détresse, nos souffrances perdront leur amertume et se changeront en consolation.

Que tous nos efforts tendent à connaître Dieu: plus nous Le connaîtrons, plus nous désirerons le connaître.
Comme l'amour est ordinairement en proportion de la connaissance, plus notre connaissance sera grande et profonde, plus grand aussi sera notre amour, et si notre amour pour Dieu est grand, nous l'aimerons également dans les peines comme dans les plaisirs.

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Textes actualisés et remis en forme par Phil Edengarden © 2016

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