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L’INCONTOURNABLE EMPEREUR CONSTANTIN

Le chef romain qui mit fin à la persécution des chrétiens

Buste de ConstantinIl y a, pour le moment, notamment sur les réseaux sociaux, un regain d’intérêt pour Constantin 1er, l’un des plus importants empereurs de la Rome antique après Jules César et Auguste. Pour rappel, c’est ce Constantin qui, au quatrième siècle de notre ère, aurait fait du christianisme la religion officielle de l’empire romain. Autrement dit, pour beaucoup de gens, l’Occident chrétien, c’est lui ! Et pendant que certaines personnes continuent d’en parler sur un ton admiratif, d’autres en dressent une caricature grossière, à la limite du grotesque, en lui reprochant d’avoir donné, à des fins cyniques, de la consistance à un Jésus-Christ qui n’aurait jamais été qu’une figure mythologique. Enfin, si les chrétiens d’Orient le vénèrent comme un saint à égalité avec les apôtres, nombreux sont les puristes, au sein des églises réformées d’Occident, qui lui reprochent sévèrement d’avoir paganisé le christianisme.

La vérité se trouve sans doute à l’intersection de ces différents courants de pensée, un peu comme le fut l’ancienne Byzance, la ville choisie par Constantin pour devenir la nouvelle capitale de son empire : une passerelle reliant différents univers, à la croisée des chemins entre l’Orient judéo-chrétien et l’Occident païen.

QUI ETAIT CONSTANTIN 1er ?

Constantin est né à Naissus (aujourd'hui Niš, en Serbie), en 272. Il est issu de cette lignée de militaires de modeste extraction qui ont redressé le vieil empire à la fin du 3ème siècle, lorsqu'il était menacé par les premières attaques des barbares ; ils contribuèrent à fortifier les villes et à renforcer les défenses aux frontières.

En 293, Dioclétien institua la tétrarchie, un gouvernement à quatre têtes : deux tétrarques principaux, appelés augustes et deux tétrarques mineurs, appelés césars. Le territoire de l’empire romain fut alors subdivisé en quatre parts (voir carte). En devenant césar, Constance Chlore, le père de Constantin, reçut en partage la Gaule, la péninsule ibérique et la Bretagne (actuelle Grande-Bretagne). Puis il devint auguste lorsque les deux augustes, Dioclétien et Maximien, abdiquèrent volontairement.

 Tétrarchie Les quatre empereurs de la tétrarchie : Dioclétien, Galère, Constance Chlore (père de Constantin) et Maximien.

A la mort de Constance Chlore, en 306, son fils Constantin, qui avait déjà fait preuve de réelles aptitudes de chef militaire, fut aussitôt proclamé auguste par ses soldats. Cependant Maxence, le successeur de Maximien, considéra Constantin comme usurpateur et la guerre éclata entre ces deux héritiers des augustes.

En 312, après avoir traversé les alpes avec ses armées, Constantin renversa Maxence à la bataille du Pont Milvius, à proximité de Rome. Eusèbe de Césarée et Lactance, les historiens de l’époque, attribuèrent cette victoire à une intervention surnaturelle à caractère chrétien (Nous y reviendrons). Devenu maître incontesté de l'Occident, il convint avec Licinius, son dernier concurrent, d'un partage de l'empire : à lui l'Occident, à Licinius l'Orient.

Bon politique, Constantin 1er constata les progrès du christianisme qui ne séduisait alors encore qu'un dixième de la population de l'empire, surtout en Asie mineure et en Afrique du Nord, mais manifestait un dynamisme étonnant dans les villes. Trouvant dans la symbolique chrétienne des éléments fédérateurs susceptibles de consolider l’unité de l’empire, Constantin renonça à la politique de persécution sanglante de ses prédécesseurs et prit le parti de s'appuyer sur la nouvelle religion (dont les adeptes sont encore très minoritaires) pour consolider l'unité de l'empire : le 13 juin 313, de concert avec son homologue d'Orient, Licinius, il signa, à Milan, un édit de tolérance garantissant aux chrétiens le droit de pratiquer librement leur religion.

  • Carte de l'empire romain
  • Pont Milvius
  • Statue de Constantin

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De façon prévisible, l'entente entre Licinius et Constantin ne dura pas. Une guerre éclata entre les deux camps. Celle-ci dura une dizaine d’années, jusqu’à la défaite de Licinius, en 324. L'empire romain retrouva dès lors son unité sous l'autorité de Constantin.

C’est ce souci d’unification de l’empire qui conduisit Constantin à convoquer différents conciles de l’église chrétienne alors en pleine expansion. Il y eut d’abord le concile d’Arles, en 314, qui aboutit à la condamnation du donatisme qui divisait les chrétiens d’Afrique du nord. Puis, en 325, la doctrine du prêtre Arius divisait à tel point les chrétiens que l’unité de l’empire en était menacée, et Constantin convoqua un concile à Nicée, en 325, pour statuer sur la question. Les responsables d’église présents condamnèrent quasi unanimement l’arianisme et l’empereur ordonna l’exil d’Arius (sans doute à contrecœur, nous y reviendrons).

En-dehors de la légitimation du christianisme, la principale œuvre marquante du règne de Constantin fut de déplacer le centre de gravité de l’empire et de remplacer Rome par la ville de Byzance, qu’il rebaptisa Nouvelle Rome. Cette nouvelle capitale, dédicacée en 330, prit le nom de Constantinopolis (Constantinople) après la mort de Constantin.

En 337, c’est aux abords de cette ville que Constantin se fit baptiser sur son lit de mort (selon la coutume de son époque, nous disent certains historiens) par Eusèbe de Nicomédie, un disciple d’Arius. Il fut inhumé dans une église qu’il avait fait édifier à Constantinople et dans laquelle se trouvaient douze tombes destinées à recueillir les restes des douze apôtres.

CONSTANTIN ETAIT-IL CHRETIEN ?

A en croire le tropaire de la divine liturgie orthodoxe grecque, Constantin ne fut pas seulement le premier empereur chrétien de l’histoire mais aussi un saint (autrement dit un juste) et l’égal des apôtres. La notice biographique du synaxaire de l’église orthodoxe le présente comme favorisé de grâces mystiques, versé dans les saintes écritures, dévot, artisan de paix grâce à qui les envahisseurs barbares en vinrent à recycler leurs armes pour en faire des socs de charrue...

Cette biographie très enjolivée omet de mentionner que, comme en témoignent les pièces de monnaie qu’il fit frapper tout au long de son règne et la statue qu’il fit installer pour l’inauguration de sa nouvelle capitale, en 330, Constantin fut longtemps un adorateur du Sol Invictus (le soleil invaincu), une divinité solaire apparue dans l'empire romain au 3ème siècle. Par une loi du 7 mars 321 qui perdure encore aujourd’hui, il imposa également le dimanche, appelé à Rome jour du soleil, comme jour de repos obligatoire en hommage au Sol Invictus. Cela ne posa aucun problème pour tous ceux qui, parmi les chrétiens, s'étaient éloignés du commandement du chabbat' et célébraient déjà la résurrection du Christ ce jour-là, le premier de la semaine. Ils l'appelaient jour du Seigneur. Et c'est ainsi que s'opéra le syncrétisme.

  • Statues du Sol Invictus
  • Statues du Sol Invictus
  • Vue de Constantinople

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Quant à la fête annuelle du Sol Invictus, qui avait lieu le 25 décembre, elle fut peu à peu supplantée par la célébration de la naissance du Christ, jusqu’à ce que l’édit de Thessalonique promulgué par l’empereur Théodose 1er en 380, interdise définitivement le culte du sol Invictus, faisant du 25 décembre une fête en apparence exclusivement chrétienne. Mais ce décret qui prétendait mettre fin à l'adoration du Sol Invictus n’arriva qu’un demi-siècle après la mort de l’empereur Constantin, non pas de son vivant !

N’ayant donc jamais rompu avec le culte païen du Sol Invictus, Constantin ne devint formellement chrétien qu’en 337, soit 25 ans après sa dite conversion. Or Eusèbe de Nicomédie, le prêtre qui le baptisa sur son lit de mort, était un disciple d’Arius, dont la doctrine avait été condamnée par le concile de Nicée, en 325. Tout porte à croire qu’il ne s’agissait pas d’une coïncidence : en niant la divinité de Jésus-Christ, en niant toute forme de préexistence avant sa naissance sur terre, l’arianisme faisait de Jésus un homme que le destin avait élevé au rang divin. Cette vision était tout à fait compatible avec la conception des empereurs de Rome qui, pleinement humains, se considéraient cependant comme favorisés par leurs dieux et imposaient à autrui d'être vénérés eux-mêmes comme tels.

Enfin, que dire du récit de la conversion de Constantin, en 312 ? Celle-ci nous a été rapportée par deux sources (voir plus loin). Or aucun d’eux n’était présent lorsque cela eut lieu. De surcroît, leurs témoignages sont quelque peu discordants. Mais que ce soit chez l’un ou chez l’autre de ces historiens, le récit de cette prétendue prise de position pour le Christ ne fait aucunement mention d’une quelconque forme de conversion personnelle ou de repentance, d’un changement radical de comportement, d’une consécration à YHWH, d’un baptême du saint-esprit, d’une relation personnelle avec Jésus. Ce récit est davantage l’histoire de la légitimation d’une prise de pouvoir absolu au nom d'un dieu prétendument plus fort que tous les autres.→ Le labarum et le chrisme constantinien

Last but not least, il est utile de corriger certaines idées reçues, en soulignant que l’empereur Constantin n’a jamais fait du christianisme la religion officielle de l’empire romain. (C’est l’empereur Théodose II qui, au cinquième siècle, interdit le polythéisme et imposa le christianisme comme religion officielle.) En signant l’édit de Milan, en 313, Constantin offrait aux chrétiens la garantie de pouvoir pratiquer librement leur culte, en toute légalité, sans risquer d’être encore persécutés, privés de leurs fonctions, de leurs biens et de leurs droits les plus fondamentaux. Mais dans quel but ? Certains ont vu en Constantin un habile politique, qui sut se rallier une minorité irréductible de résistants au culte de l'empereur et utiliser les rites, les dogmes et les valeurs de la nouvelle religion avec cynisme pour fonder un monde nouveau, plus tolérant, plus pacifique et unifié.


Appendice - Le labarum et le chrisme ou la part du rêve

La bataille du Pont Milvius du 28 octobre 312 est une conséquence directe de la tétrarchie mise en place par Dioclétien, pour la maîtrise de l’Occident romain.

Seules deux sources nous ont rapporté le récit détaillé de cette bataille :

  • 1. Eusèbe de Césarée (265-340) évêque, théologien et apologète chrétien, auteur de « l’Histoire ecclésiastique », de deux « Eloges de Constantin », et d’une « Vie de Constantin ».
  • 2. Lactance (250-325), rhéteur chrétien qui finit sa vie au service de Constantin en devenant le précepteur de latin de son fils aîné Crispus. Lactance écrivit les « Institutions divine »s, et « La Mort des persécuteurs ». où est mentionnée la bataille du Pont Milvius.

Selon Lactance, la nuit du 27 octobre 312, Constantin aurait eu un songe : une vision qui lui apparut sous la forme du chrisme, et ces mots en grec « En Touto Nika » (par ce signe tu vaincras). Ce signe, c’est le chrisme, symbole composé des lettres grecques Χ et Ρ correspondant aux deux premières lettres du mot grec Kristos (Christ).

D’après Eusèbe de Césarée, Constantin ordonna ensuite de fabriquer un étendard, qu’on appelle Labarum, avec ce signe, et de la placer à la tête de ses armées. Si les légions romaines combattaient sous l’aigle, symbole païen tiré de la nature incarnant l’État et la Cité de Rome, jamais on n’avait combattu sous un étendard abstrait symbolisant un homme : le Christ.

  • Labarum et chrisme
  • Labarum et chrisme
  • Hélène, mère de Constantin

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L’Histoire étant écrite par les vainqueurs, la propagande impériale et chrétienne exalta le songe de l’empereur comme présage de la victoire de Constantin : la présence du chrisme sur le champ de bataille était là pour montrer que la religion chrétienne ne peut être que supérieure à toutes les autres.

Dans les faits, le chrisme existait déjà avant que Constantin ne le vit dans un songe puisqu’il était déjà utilisé comme symbole de reconnaissance parmi les chrétiens persécutés. Il se peut donc que l’empereur en ait vu le tracé et qu’il l’ait choisi après mûre réflexion pour des motifs d’ordre ésotérique (tout comme un Hitler le fera plus tard en choisissant la croix gammée comme emblème).

Avec l’émergence du rationalisme, l’on s’est peu à peu défié des rêves et des songes, Or dans l’antiquité, il semble que ce fut tout le contraire : rien de tel qu’un songe pour cautionner un choix, une décision. Il suffit de considérer l’importance accordée aux rêves dans la vie d’Hélène, la mère de Constantin, notamment lorsque cette dernière se mit en quête d’artefacts chrétiens en Terre Sainte : cela avait la valeur d’un cachet d’authenticité émis par des instances supérieures.

C’est ainsi que l’on se retrouva, en Occident, avec une multitude de bouts de bois provenant, dit-on, de la croix sur laquelle expira le Christ : Hélène aurait eu un songe lui révélant que ces précieuses reliques se trouvaient enfouies sous le temple de Vénus, à Jérusalem. Elle le fit raser, y trouva la croix et fit bâtir une basilique à son emplacement (l’actuel St Sépulcre). La biographie de Sylvestre, dernier évêque juif de Jérusalem, relate une toute autre histoire : peu avant de se convertir à la nouvelle religion, ce dernier aurait été torturé six jours durant par les hommes de main d’Hélène pour qu’il leur révélât ce qu’il savait de l’emplacement en question. Ce sont également les prétendus songes d’Hélène qui auraient permis de localiser le lieu de la naissance de Jésus, à Bethléem, l’emplacement de Gethsémani, à Jérusalem, et le Mont Sinaï… en Egypte !

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